Le plus grand passage à petite faune d'Europe

L'histoire commence ainsi :

A 35km environ au Nord ouest de Grenoble se trouve l'étang du Grand Lemps, en Isère connu depuis longtemps par les naturalistes locaux pour la richesse de sa flore et de sa faune. On recense des plantes carnivores dans cette tourbière de 60 ha, des courlis, des hérons, des butors et surtout 4 espèces de tritons. C'est le seul endroit de l'Isère où l'on peut observer triton alpestre et palmé, crêté et surtout le très rare triton ponctué, ici en limite de répartition. En 1979 la Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature avait attiré l'attention sur la richesse du site et commencé une longue bataille qui a abouti le 28 février 1993 par la création d'une réserve naturelle nationale. Il a fallu 14 ans de procédures pour sauver un paradis de biodiversité. Alors qu'ils pensaient pouvoir enfin se reposer les militants associatifs durent vite déchanter. En effet ils se rendirent compte très vite que la plupart des 9 espèces d'amphibiens qui se reproduisaient dans la réserve allaient hiberner en dehors de l'espace protégé dans les bois alentour. Et, fin février début mars, dès qu'il faisait 8°C à 20h un soir agrémenté d'une certaine humidité les grenouilles, tritons et crapauds sortaient des forêts pour se rendre à l'étang pour se reproduire. Chemin faisant ils devaient traverser la route départementale D51 b. Or, il suffit d'une voiture par minute pour écrabouiller 90% de la population des amphibiens protégés par la réserve naturelle. Ainsi en 1995 on a trouvé 827 cadavres en une seule nuit. Il faut préciser que le trafic routier augmente régulièrement dans ce secteur et que la tombée de la nuit est devenue une période de pointe. Dans ces conditions les efforts faits pour protéger la réserve naturelle devenaient vains.

Les corridors biologiques du conseil général

Pendant que les associations telles que l'Agence pour la Valorisation des Espaces Naturels Isérois Remarquables (AVENIR) et le Centre Ornithologique Rhône alpes installaient un système de protection provisoire le conseil général commandait en 2001 une importante étude pour localiser les espaces naturels servant aux déplacements de la faune dénommés corridors biologiques. Ainsi fut cartographié l'ensemble du département à l'échelle du 25 000ème. Ce travail, mené par le bureau d'étude suisse ECONAT a permis de localiser 320 points de conflit. Celui du Grand Lemps apparut vite dans les priorités. En effet les femelles d'amphibiens écrasées avec leurs œufs gélatineux constituent un réel risque de dérapage pour les véhicules, surtout sur cette route pentue et exposée au nord. Le danger est accentué par la présence de mammifères charognards (Sanglier, renard, blaireau), attirés par les cadavres. Très vite, Serge Revel, vice président du conseil général chargé de l'environnement, fut convaincu de la nécessité d'intervenir pour sauver, les amphibiens, la réserve et les conducteurs. Chacun se mit au travail.

Des filets protecteurs

La première chose faite pour implanter un passage inférieur sous la voirie pour les amphibiens a consisté à mettre en place pendant la période de migration aller (Fin février à fin mars) des filets de plastique grillagé sur 1,4 km, côté forêt, enfouis sur 10 cm et dépassant de 60 cm du sol. Tous les 15m un seau numéroté est enterré le long du filet. Ainsi tout animal qui sort de la forêt butte contre ce barrage et longe l'obstacle jusqu'à tomber dans un seau. Chaque matin des bénévoles viennent relever les seaux, identifier les espèces et les sexes, avant de les transporter de l'autre côté de la route. Ce travail doit être fait pendant 3 saisons et c'est lui qui va localiser exactement les emplacements des futurs passages inférieurs. En effet les crapauds et tritons ont leurs habitudes et sont incroyablement têtus et un passage inférieur mal placé ne sera pas utilisé, donc inutile. Les résultats ne se sont pas faits attendre et près de 10 000 amphibiens ont été recensés la troisième année !

Un chantier exemplaire

Ainsi 13 doubles passages inférieurs (caniveaux de 35x40 cm en U munis de couvercles et disposant d'une couche de terre argileuse au fond) ont été réalisés sous la route aux endroits choisis par les animaux pour leur migration. Pour les contraindre à les utiliser un collecteur de 40 cm de haut en béton moulé a été installé le long de la voie sur 1,4 km. Les amphibiens tombent dedans lors de leurs déplacements. Ils sont obligés de le longer jusqu'au trou qui les conduit au début du passage inférieur. Lors de la migration retour qui s'étale toute la belle saison les animaux trouveront un autre collecteur, côté étang, avec un autre trou pour le passage inférieur parallèle au premier.
Ce dispositif fonctionne à merveille. Ce chantier qui a coûté au conseil général la moitié d'un simple rond point a permis de sauver des dizaines de milliers d'amphibiens, d'insectes, de petits mammifères (hérisson, putois ...), de reptiles et d'invertébrés, redonnant un sens et une vie à la réserve naturelle du Grand Lemps. Le conseil général a donné du travail à une entreprise locale; il a sécurisé un itinéraire routier source d'accidents tout en préservant la biodiversité. C'est ce qu'on appelle le développement durable.

Aujourd'hui l'étang du Grand Lemps revit. Des milliers de têtards grouillent dans la tourbière constituant l'un des premiers maillons de la chaîne alimentaire et le gestionnaire de la réserve se réjouit de voir augmenter son patrimoine naturel. Toutes les personnes qui souhaitent faire de même peuvent contacter Grégory Maillet au 06 07 86 70 49.

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