La passion des serpents

Nous devions faire ensemble un voyage naturaliste dans le nord de la Grèce.
Aussi je demandais à mon ami Michel Fonters d'où lui venait sa passion des reptiles.
Il ne sut me répondre exactement. Etait-ce pour sublimer la frayeur qu'il avait eue, enfant, provoquée par la rencontre inopinée avec une énorme couleuvre de Montpellier ? Il est vrai que ce serpent méditerranéen, souvent agressif, possède des écailles au dessus de l'oeil qui lui donnent un air sévère.
Etait-ce ce livre de Dottrens paru dans les années 1960 aux éditions Delachaux et Niestlé consacré aux reptiles et amphibiens d'Europe que lui offrit son oncle pour ses 12 ans ?
Ou alors est ce tout simplement l'attrait pour les richesses de son pays natal : Marseille où dès le plus jeune âge Michel Fonters fouinait dans les garrigues à la recherche des aires d'aigle de Bonelli ou dans les ruisseaux encore propres pour surprendre les rainettes méridionales.
Ainsi on ne saura jamais précisément l'origine de cette passion mais qu'importe !
Au détour d'une discussion à l'heure de la sieste, dans un modeste restaurant d'un petit village, Michel savourait le bonheur de retrouver l'ambiance de son enfance où, d'origine modeste, on savait goûter le plaisir des choses simples : l'ombre quand il faisait grand soleil, une cabane de planches dans les calanques, sans électricité et confectionnée avec les restes trouvés sur la plage, les discussions interminables à l'accent du midi et le temps de vivre paisiblement. Bref une vie de couleuvre, rythmée par les saisons, dépendante de la chaleur du sol et digérant lentement un unique repas pendant 15 jours.

Trouver les serpents :

Le plus étonnant est d'observer l'homme au travail !
D'abord l'herpétologue recherche les milieux naturels favorables : zones humides, friches, vieux murs, lisières, ruines.
Là se trouvent les proies possibles : alevins, têtards, insectes ou rongeurs, les solariums indispensables à l'équilibre thermique de ces animaux à sang froid.
Encore faut-il qu'il ne fasse pas trop froid, ni trop chaud, qu'il ne pleuve pas trop et que le vent soit insignifiant. Sinon, tout le petit monde reptilien se cachera au fond d'une galerie de rongeur ou à l'intérieur d'une souche.
Il n'est donc pas nécessaire de se lever tôt. Par contre il faut marcher lentement car les serpents sont sensibles aux vibrations du sol.
Aussi Michel Fonters, bien chaussé déambule tranquillement le long des lisières, les yeux fixés au sol, guettant le moindre indice : une trace de reptation sur le sol, une mue accrochée à un buisson. La concentration s'amplifie lorsque l'on trouve, comme ici en Thrace, dans le domaine des vipères ammodytes particulièrement venimeuses.
Après la marche, l'haltérophilie : là il s'agit de soulever, avec précautions, tout ce qui pourrait constituer une cachette possible : souche, arbre mort, pierre. Dans ces conditions le nord de la Grèce est un paradis et Michel Fonters déplacera sans problèmes une tonne de matériaux dans la matinée.

De temps en temps l'épreuve se complique. Il faut partir au sprint, au ras du sol pour tenter d'attraper le corps d'un serpent qui adore se réfugier dans un buisson de ronces. Souvent vainqueur à ce genre de défi, Michel lève ses bras ensanglantés en montrant d'un air radieux le serpent qu'il vient d'attraper.
Et dire qu'il a une sainte horreur du sport !...
Là il faut bien reconnaître que sa joie est au comble s'il découvre un serpent qu'il ne connaît pas encore ou s'il peut faire oeuvre pédagogique envers ses compagnons de balade. Lors de notre périple en Grèce ce fût le cas, car nous étions en limite de répartition de certaines espèces, telle la vipère ottomane. La météo était favorable et nous étions aussi curieux que lui.

De quel serpent s'agit-il ?

Avec un calme rassurant notre captureur s'installe alors pour savourer son plaisir. Il sort son matériel tout en calmant le reptile, sans l'étouffer. Je parle bien sûr des espèces non venimeuses, car Michel reste prudent. Pour les vipères, il se contente de les observer de près, hors de portée du crochet fatal. Courageux mais pas téméraire.
Dès que l'animal se tranquillise, il l'observe attentivement. Il mesure et compte les écailles, admire la coloration de sa robe, détermine le sexe. S'il faut, il fera usage d'une loupe, prendra des photos et consultera l'importante documentation qu'il a apportée avec lui.

Michel Fonters avec une jeune couleuvre de la Caspienne

Si par chance, il est accompagné d'une personne ayant la phobie de tout ce qui rampe dans les herbes hautes, il déploiera des tonnes d'arguments et de trucs pour la guérir de sa phobie. C'était le cas de Marie-Claude.
La simplicité de Michel, sa persuasion et son calme finiront par permettre un rapprochement, voire même un premier contact du bout des doigts. «Ah ! Mais c'est doux ... et chaud ... moi qui croyais que c'était froid et gluant ...»
L'animal fiché sera relâché au même endroit que sa capture. C'est là une preuve de l'éthique du naturaliste qui refuse d'attraper un serpent par la queue, de peur de le blesser et qui guide une vipère ammodyte à travers une voie rapide pour éviter son écrasement, alors que bon nombre de conducteurs l'auraient transformée en tapis de sol sanguinolent.

Michel Fonters note tout ce qu'il observe depuis les années 70 sur de gros cahiers à petits carreaux, soigneusement paginés. Il utilise le même stylo bleu, n'admet aucune rature, précise la date, l'heure et les circonstances de ses trouvailles, avec une belle écriture d'instituteur. En fait Michel Fonters a fait des études de droit, a beaucoup voyagé dans l'Europe entière puis a passé et réussi un unique concours pour devenir aujourd'hui un directeur d'hôpital respecté et apprécié par son personnel.
Alors pour remplir ses cahiers, il profite des moindres instants disponibles de notre voyage : En voiture, sur une table de bistrot où trône une bouteille de Résiné, sous un arbre à l'ombre ou devant sa tente à l'aube. Là il fait infuser du thé dans un verre d'eau froide. Cela doit être sa potion magique d'homme serpent !

Belle moisson d'observations :

En 12 jours nous avons pu voir ensemble 31 espèces de reptiles amphibiens dont 9 espèces de serpents. Le plus étrange est le typhlops vermiculaire, petit serpent rose, ressemblant à un lombric. Ses yeux minuscules montrent qu'il vit essentiellement sous terre et on ne le trouve qu'en soulevant au moins plusieurs centaines de pierres.

Le plus impressionnant est la vipère ammodyte avec sa protubérance écailleuse au bout du museau. Nous avons failli marcher dessus. Nous étions à la recherche de chauves-souris dans une vieille cabane abandonnée à l'angle d'un champ, près de la forêt de Dadia. En pénétrant dans la bâtisse noyée dans les ronces, je remarquais des pelotes de rejection de hibou moyen duc au sol. Alors que nous allions en prélever quelques unes, histoire de connaître le régime alimentaire du rapace. J'ai surpris l'animal lové sous un fagot, pupille fendue, air féroce, redressant la tête en soufflant. Elle devait être là pour chasser quelques rongeurs.

Nous avons pu admirer une mue complète de couleuvre de Montpellier accrochée aux fleurs jaunes d'une prairie garnie de trous de campagnols sociables, une superbe couleuvre femelle à collier sous espèce persa, lovée dans la végétation aquatique des berges du lac Pagouria. Tout près plusieurs mâles recherchaient sa trace pour tenter un accouplement.

Le plus grand serpent attrapé fut une énorme couleuvre à 4 raies au bord du lac Volvi, aussi large que le bras de Michel, et bien décidée à défendre chèrement sa peau.
On la comprend car les routes grecques sont des cimetières surpeuplés de serpents aplatis et que le ciel de ce pays compte nombre de rapaces (circaète, buse féroce) et de hérons avides de reptiles.

Avec Michel Fonters nous avons beaucoup appris, admiré la beauté des serpents et des reptiles et compris que leur place dans l'écosystème est essentielle, prédateurs de rongeurs et proies d'oiseaux ou de petits carnivores. Marie-Claude peut maintenant se promener sans frissonner à chaque bruissement de feuilles mortes.

De retour de notre ballade herpétologique Michel s'arrête dans l'aéroport de Milan devant une affiche publicitaire montrant une belle femme en petite tenue avec un serpent lové sur le ventre. Je vous laisse deviner ce qui retenait l'attention de Michel : la marque de parfum, les formes féminines ou les belles marbrures de ce python royal si loin de sa jungle. 

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