La forêt peut très bien vivre sans l'homme
Publié par Jean-François Noblet le vendredi 15 décembre 2006
Combien de fois avons-nous entendu ce lieu commun qui consiste à affirmer haut et fort que la forêt meurt si elle n'est pas entretenue par l'homme ?
Il faut dire ici que c'est complètement faux. Quitte à faire vaciller les belles certitudes des propriétaires forestiers ou des élus locaux de communes forestières, nous devons ici rétablir la vérité scientifique. Pendant des dizaines de milliers d'années, partout dans le monde, des graines ont germé, des arbres ont poussé lentement, puis sont morts. Ils sont alors tombés retournant progressivement dans le sol, décomposés par des champignons et des invertébrés. Tout ceci sans l'homme.
En forêt naturelle, depuis toujours, on retrouve diverses essences et divers âges dans les peuplements. Les plantules d'arbres naissants cohabitant avec des arbres mûrs et des arbres pourrissant au sol.
Les plus belles forêts que nous connaissons dans le monde, celles qui sont les plus riches en biodiversité, les plus spectaculaires par les dimensions des arbres sont les forêts primaires, celles qui n'ont jamais été touchées par l'homme. Ces forêts ne meurent pas car les mécanismes de régulation des insectes xylophages et des maladies des arbres fonctionnent bien dans un équilibre écologique bien établi. Si un arbre géant meurt et tombe à terre, il écrase dans sa chute plusieurs dizaines d'arbres. Il crée ainsi une clairière où le soleil arrive au sol. Ses racines soulèvent des dizaines de mètres carrés de terre creusant ainsi une fosse qui se remplit souvent d'eau. L'herbe qui envahit la clairière, la présence d'eau attirent de multiples herbivores qui maintiendront un temps la présence d'une clairière et de cheminements pour y accéder. Puis, petit à petit, les arbres vont retrouver leurs places, avec un cortège d'espèces pionnières. Ainsi la forêt évolue, se modifie, se renouvelle, mais ne meurt pas naturellement.
Elle résiste même aux incendies dus à la foudre et aux ouragans. Il lui faut simplement du temps pour repousser. La seule cause de mortalité d'une forêt reste l'activité humaine. Il n'y a que l'homme qui soit capable de défricher la forêt et de la remplacer par le désert, l'agriculture ou l'urbanisation.
L'affirmation fausse qui rend l'homme responsable de l'avenir de la forêt par une gestion appropriée a pour unique objectif de justifier le travail des forestiers. Or ce n'est pas parce qu'on contredit ce slogan inexact que l'on est opposé à tout usage du bois, toute coupe ou défrichement pour l'activité humaine.
Bien au contraire ! Il est tout à fait intéressant d'utiliser le bois, matériau noble, naturel et écologique, ressource renouvelable pour le développement durable. Il est tout à fait possible de gérer intelligemment les espaces boisés en imitant les équilibres naturels.
Mais retenir l'idée que les forêts peuvent très bien vivre seules et se passer de notre "prédation" devrait nous inciter à multiplier les réserves forestières biologiques où l'on décide de ne plus exploiter des espaces forestiers pour permettre aux générations futures de connaître une vraie forêt naturelle.
Une forêt, vierge, source de biodiversité, de méditation et de plaisirs aux arbres majestueux, couverts de lichens et de mousses et grouillant d'insectes, d'oiseaux de toutes sortes.
Il n'y aurait plus de pistes défoncées imprimées de traces de gros tracteurs mais seulement la sente des blaireaux.
Il n'y aurait plus la plainte des tronçonneuses mais les chants de la chouette de Tengmalm et du pouillot siffleur.
Il n'y aurait plus les troncs d'arbres amputés sur le bord de la route mais des trous façonnés en fanfare par les pics dans les arbres vieillissants.
Il y aurait des champignons à la pelle et des fourmilières énormes et un trait de lumière à travers le brouillard dans une cathédrale vivante où résonne en automne le brame du cerf. Ce serait peut-être l'endroit du repos et du début de la sagesse.