Dépenser 9 millions pour des crapauds ?
Publié par Jean-François Noblet le lundi 09 février 2009
Telle est la réaction que nous devrions sûrement entendre à l'annonce du programme européen de restauration des corridors biologiques du Grésivaudan dont le conseil général est maître d'ouvrage.
En période de crise il est parfaitement compréhensible que les personnes les plus touchées aient ce réflexe. Cela mérite toute notre attention et il nous faudra pouvoir y répondre sereinement ou abandonner ce programme.
L'argument le plus simpliste consiste à dire que ce sont 9 millions de travaux : passages à faunes supérieurs ou inférieurs, signalétique, plantations, etc... et que le conseil général préfère un programme intelligent et utile de relance. Avec ce programme le conseil général a réussi à drainer d'importantes subventions qui couvrent l'essentiel du budget (Europe, région, agence de l'eau) pour l'Isère, à créer des emplois.
En poussant le raisonnement ce programme à vocation à promouvoir un aménagement durable du territoire consistant à préserver les espaces agricoles, à éviter l'étalement urbain très couteux en infrastructures et réseaux et à assurer une meilleure sécurité routière. Rappelons que l'on perd chaque année en Isère 1500 hectares d'espaces agricoles et que l'on compte 1000 accidents avec la grande faune (2 morts en moyenne, des blessés et des dégâts considérables).
La chambre d'agriculture a bien compris l'enjeu de la pérennisation des espaces agricoles et soutient activement le programme des corridors biologiques. Il faudra bien un jour se rendre compte que l'autonomie alimentaire du département est un objectif bien plus important que de gagner 10 minutes dans un trajet automobile. En période de crise où le coût des transports reprend une importance, cela mérite réflexion.
D'autres arguments justifient la politique exemplaire du département en matière de corridors biologiques :
En ce qui concerne la biodiversité la liste rouge des espèces menacées de l'Isère que le conseil général a publiée en 2008 a démontré que la perte de biodiversité ne concerne pas que les forêts tropicales mais également notre région. Ainsi 152 espèces de vertébrés sont menacées en 2007 alors qu'elles n'étaient que de 117 en 1995. La fragmentation de l'espace et les écrasements sur les voiries sont des causes importantes de cette érosion spécifique et génétique. Deux exemples : les chamois de Chartreuse ont déjà un capital génétique différent des autres chamois des Alpes compte tenu de leur isolement et 66 hérissons écrasés ont été recensés sur la même route au Touvet entre 2002 et 2007. Rappelons que la biodiversité est essentielle pour notre agriculture, nos jardins, notre santé. Corrigeons un détail au passage : les corridors biologiques mis en place ne concernent pas que des crapauds mais l'ensemble de la faune et de la flore : l'ensemble du gibier, des milliers d'insectes, des vers de terre indispensables à nos sols, des centaines d'espèces d'oiseaux et de mammifères, des poissons.
L'investissement du conseil général est donc un investissement fondamental pour le long terme et il est parfaitement cohérent avec la volonté affichée de mettre en place le département le plus écologique de France.
Il parait donc étonnant que certains imaginent que cela soit inutile alors qu'il ne viendrait à l'idée de personne de supprimer les budgets du sport ou de la culture en période de crise.
Programme de travaux, aménagement durable, sauvegarde de l'espace agricole, augmentation de la sécurité routière, préservation de la biodiversité et des paysages sont déjà de solides arguments. Mais il en reste un, essentiel à mes yeux :
Comme l'a très bien écrit Georges Bescher, conseiller général, dans sa carte de vxux 2009, la crise n'est pas qu'un accident lié à la cupidité de banquiers. Elle est inévitable dans un monde limité, aux ressources limitées avec une population humaine qui augmente. Elle remet en cause fondamentalement un certain nombre d'idées reçues. Elle nous oblige à réfléchir et à dialoguer, dans un esprit d'ouverture et de solidarité envers les plus démunis et l'ensemble du vivant sur cette planète.
Dépenser de l'argent pour la nature et la vie c'est exactement utiliser l'essentiel des qualités dont nous aurons fondamentalement besoin pour nous sortir de la crise. Cela suppose une grande lucidité et un certain courage.
Enfin, assurer la libre circulation de la faune et de la flore revient très souvent à assurer celle des humains dits « captifs », c'est-à-dire ceux qui n'ont pas la possibilité de circuler en voiture : personnes âgées, handicapés, enfants en poussette, en vélo ou en roller.
C'est une très belle application concrète du principe fondamental de notre constitution : la Liberté !
Pour toutes ces raisons il faut féliciter le conseil général de l'Isère.