Le classement des espèces nuisibles est-il une solution ?

« Ah, encore un écolo ! » pourront dire certains pour éviter de m’écouter sur ce sujet polémique.

Pour les chasseurs, je répondrai que j’ai obtenu le permis de chasse, que je suis piégeur agréé et que le préfet de l’Isère m’a nommé personnalité scientifique qualifiée dans le domaine de la chasse et de la faune sauvage de la  Commission  Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage  (CDCFS) pendant une quinzaine d’années.

Pour les écologistes j’ajoute que j’étais d’ailleurs tellement qualifié dans les débats concernant le classement des espèces nuisibles que le préfet finit par m’exclure sans excuses ni remerciements pour le temps et l’énergie consacrés à l’intérêt général.  Pour parler de notre sujet il importe, dans un premier temps, de bien connaître les protagonistes : la CDCFS et les piégeurs. Je m’attacherai principalement au département de l’Isère dans cet exposé.

On remarquera que la CDCFS compte en séance plénière 25 membres dont 5 représentants de l’état, 7  chasseurs, 4 agriculteurs, 3 forestiers, 2 piégeurs, 2 représentants des protecteurs de la nature et 2 scientifiques. Cette commission donne un avis au préfet sur toutes les  questions relatives à la gestion de la faune sauvage et à la protection de ses habitats dans un département. Alors on peut légitimement s’étonner de sa composition :En Isère la faune  compte 330 espèces de vertébrés,   plusieurs milliers d’invertébrés et 84 espèces chassables (dont 6 espèces classées nuisibles en France, 6 en Isère et  3 pouvant être classées nuisibles annuellement). Or, si on compte le représentant de l’ONCFS et de l’association des lieutenants de louveterie parmi les représentants de l’état, on obtient, en Isère 11 chasseurs sur 25 membres. Si on ajoute le représentant de l’ONF qui obtient une partie de ses revenus par les activités cynégétiques en forêt domaniale (600 000€ par an en Isère), la CDCFS est presque à moitié composée de personnes favorables aux chasseurs. Les scientifiques, les protecteurs de la nature sont minoritaires, les élus locaux, les professionnels du tourisme nature et les chasseurs photographes sont absents alors que seulement 25% des espèces de vertébrés sont chassables et que la faune sauvage est un bien commun de la société. En Isère qui compte aujourd’hui 1.197 038 habitants, on recense 23 610 chasseurs (Soit 1,97% de la population) et 12 000 adhérents aux associations FRAPNA (Soit 1% de la population)

La CDCFS en formation qui gère les « espèces nuisibles » comprend seulement  8 membres : 1 chasseur, 1 piégeur, 1 agriculteur, 1 représentant d’association de protection de la nature, l’ONCFS et l’association des louvetiers avec voix consultative. Soit 4 membres favorables aux chasseurs sur 8. Ainsi on démontre aisément que la gestion de la faune sauvage et de ses habitats dépend exclusivement des chasseurs et piégeurs alors qu’ils sont largement minoritaires dans la société. En démocratie on ne peut admettre ce monopole même si  les prédateurs humains ont le droit d’être écoutés. On se s’étonnera donc pas que les avis de la CDCFS soit  partiaux et critiquables.Afin de me faire une idée de la compétence de la CDCFS en Isère j’ai montré ces deux photos à plusieurs membres en leur demandant de déterminer ces espèces. Tentons tout d’abord un test avec vous.

J’ai donc montré ces 2 photos de putois et martre à 7 membres de la CDCFS : président de la fédération de chasse, représentant du CRPF, de l’ONF, lieutenant de louveterie, chambre d’agriculture, service chasse de la DDT. Une seule personne, du service chasse de la DDT a identifié correctement les 2 photos et le louvetier  l’une des deux photos. Je tais le nom des personnes concernées par charité. Est-il possible de donner un avis sur la gestion d’espèces que l’on ne connaît pas ?Regardons maintenant la crédibilité de l’association des piégeurs de l’Isère qui a refusé de me rencontrer.

J’ai suivi la formation animée par les agents de  l’ONCFS pour devenir piégeur agréé. Inutile de vous dire que la Fédération de chasse refusait de m’inscrire et qu’il m’a fallu intervenir auprès du préfet pour être enfin convoqué. J’y ai rencontré des chasseurs compétents et passionnés par la faune, des retraités cherchant une occupation et des viandards misogynes et alcooliques. Ce qui m’a le plus surpris c’est la méconnaissance de la biologie et de la répartition des espèces classées nuisibles en Isère du formateur de l’ONCFS. En fait il ignorait que le chat sauvage était présent en Isère et qu’il fallait faire très attention lors de captures de chats. Par contre  ce formateur excellait dans l’art de la pose des pièges et la réglementation à respecter.

 Je conseille donc  vivement à tous les naturalistes de faire cette formation pour mieux connaître le monde des piégeurs.

En Isère le site internet de l’association des piégeurs (http://apa38.fr) présente une carte de France montrant qu’en Corse il n’y a pas d’espèces nuisibles et des photos de plusieurs espèces protégées (lynx, chat sauvage, genette).

Voici une synthèse du classement des espèces concernées en Rhône Alpes.

Là encore j’ai voulu tester les connaissances de 5 piégeurs de mon secteur. Aucun n’a pu déterminer correctement les deux photos de martre et putois. Seuls 3 ont identifié le putois.

On peut donc craindre que parmi les 3000 piégeurs agréés de l’Isère (100 de plus chaque année et  500 actifs) on puisse trouver des personnes incapables de déterminer certaines de leurs prises.

Examinons maintenant la qualité des comptes rendus annuels de capture qui doivent obligatoirement être transmis à la Direction départementale des Territoires (DDT) par les piégeurs. On notera que le sexe, l’âge, ou l’état reproducteur de l’animal  capturé n’est pas demandé. Alors que l’animal doit être tué, rien n’est demandé sur le contenu stomacal, la présence de parasites ou de maladie apparente.

Certaines de ces destructions sont cruelles car les animaux peuvent souffrir et des petits agoniser plusieurs jours quand leur mère est tuée pendant la période de reproduction. Il y a également un risque de destruction d’espèces domestiques ou protégées par des piégeages non sélectifs.

Si le piège est mortel, l’erreur ne pourra pas être réparée. 

Une très instructive enquête sur les bilans de piégeage en France a été publiée en 1998 par l’ONCFS.Je cite : « Dans plus d’un tiers des départements, la proportion de communes ayant transmis des déclarations de piégeage n’atteint pas 10%.Il n’est pas possible de savoir si ces résultats correspondent à des variations dans l’exercice du piégeage ou a des variations dans le suivi de cette activité par les DDAF, les mairies ou par les piégeurs (et par conséquent à un non respect de la réglementation). Je cite encore : «  La part des corvidés indéterminés est très importante et représente 28% des prises d’oiseaux » et «  le détail des captures par catégorie ou type de pièges n’est disponible que dans 44 départements ce qui ne représente que 36% des prises ».Enfin : « Il ressort de cette enquête que, sur de nombreux points, l’application qui est faite de la réglementation en vigueur ne permet pas d’obtenir une image précise du piégeage en France. »En Isère la DDT  tente de suivre l’activité de piégeage et le respect de la réglementation.      28 piégeurs sur 500 actifs ont été suspendus en 2012 pendant une année pour non transmission de leur bilan. Une analyse des résultats annuels de captures par espèce ne permet même pas de déceler une évolution démographique car la pression de piégeage n’est pas identique chaque année. Le nombre de piégeurs actifs, de pièges posés, l’expérience des piégeurs, la destruction des espèces visées par la chasse ne sont pas comparables d’une année sur l’autre.

Il faut bien noter que le  contrôle administratif du piégeage sur le terrain demeure très succinct, voire inexistant. La localisation des pièges posés restant vague sur les déclarations en mairie, personne ne peut vérifier que le piégeur respecte la loi et va faire sa tournée de pièges tous les matins ou qu’il respecte les zones de présence de la loutre et du castor.

Ainsi personne ne peut avoir une idée précise de l’impact quantitatif et qualitatif du piégeage et toutes les affirmations des piégeurs et des chasseurs qui prétendent «  réguler » les espèces ne sont que de pures spéculations non fondées. Le Larousse donne la définition suivante : Réguler : Opération qui consiste à maintenir une grandeur entre des limites fixées. Quand on ne connaît pas le nombre existant sur le terrain des espèces piégées, le nombre souhaitée (Par qui et pourquoi ?) et l’impact quantitatif et qualitatif du prélèvement opéré par chasse et piégeage on ne peut nullement prétendre réguler. Tout au plus constater qu’il en reste encore. Ainsi le ministère a décidé d’éliminer certaines espèces envahissantes en les classant nuisibles. Or, on peut constater que les effectifs de ces espèces ne diminuent pas, malgré un piégeage depuis 15 ans. Le prédateur piégeur n’a aucun intérêt à éliminer ses proies. Maintenant on peut examiner les dégâts opérés par les espèces classées nuisibles. 

Personne ne conteste que le sanglier, le pigeon ramier ou le lapin commettent des dégâts en agriculture et pourtant ces trois espèces ne sont pas classées nuisibles en Isère. On voit là une discrimination positive de la part des chasseurs qui espèrent  prélever ces gibiers à leur profit sans  promesse d’obtenir la diminution des dégâts. On notera aussi que les chats et chiens errants ne sont pas classés nuisibles alors qu’ils sont responsables d’importants dégâts et que les chasseurs réclament la régulation du loup et du renard alors que ces prédateurs prélèvent des sangliers et des lapins. Il n’y a donc aucune logique dans cette politique qui classe nuisible le renard dans les secteurs de prairie impactées par des pullulations de campagnols terrestres et des champs alors qu’un renard adulte en consomme de 6000 à 10 000 par an. Comprenne qui pourra ! Notons que la DREAL Haute Normandie a présenté en 2010 un rapport à la CDCFS démontrant que les destructions des belettes, fouines, putois et martres dans l’Eurre ont coûté 105 000€ par destruction de prédateurs auxiliaires de rongeurs.

Quand on examine scientifiquement le cas de la pie, par exemple, on ne trouve pas de constat écrit de dégâts, ni dans le site internet de l’APA 38, ni dans celui de la fédération de chasse. Que lui reproche t on généralement ? De voler des objets brillants, de tuer des oisillons au nid et de faire du bruit.  Est-ce suffisant  pour détruire 7500 pies en 2010/2011 en Isère ? Ce massacre est injustifié car la prédation des pies sur les oisillons au nid n’a jamais eu un impact quantitatif sur les populations de passereaux. Il faut bien se mettre dans la tête que la prédation est un mécanisme naturel qui s’intègre parfaitement dans l’équilibre naturel. Si celle-ci faisait disparaître une proie ce serait au détriment du prédateur et chacun sait le rôle positif de la prédation sur la densité et la santé des proies.

Ainsi les chasseurs prétendent que la martre menace la survie du tétras lyre et de la gelinotte. C’est faux car cette prédation existe depuis des milliers d’années, bien avant l’apparition des chasseurs et elle s’exerce aussi sur les autours des palombes qui capturent ces oiseaux et sur les loirs ou écureuils qui peuvent consommer les œufs du rapace et des gallinacés. Il s’agit là uniquement de détruire (et non de réguler) un carnivore concurrent du chasseur. Une étude de l’ONCFS en 2001 conclut ainsi : « Il n’existe pas d’étude française sur l’impact particulier de la martre, du putois et de la belette sur une espèce gibier ». Il importe donc de regarder objectivement les dégâts opérés par la faune sauvage sur les activités humaines et de trouver des solutions. Il faut ici dénoncer l’aspect psychologique, voire psychiatrique, du comportement humain. Prenons un exemple en Isère : tout un village s’est réuni pour protester à grands cris contre un castor qui avait osé couper un peuplier planté dans le lit  majeur d’une rivière. 

Après des réunions publiques houleuses l’administration a capturé l’animal et l’a déplacé. Quelques temps plus tard  la rivière a connu une crue dévastatrice après un curage opéré par les services de l’état et un remembrement. Des dizaines d’arbres ont été emportés. Personne n’a protesté auprès des ingénieurs de l’administration. Ainsi le mammifère Homo sapiens ne tolère aucune emprise d’un animal sauvage sur son territoire. C’est cet état d’esprit réducteur et inadmissible qu’il faut d’abord changer.

Il est courant que des fouines pénètrent dans les toits des bâtiments et commettent d’importants dégâts dans leur isolation. Pour l’association des piégeurs il suffit de tuer l’animal pour régler le problème. C’est idiot car on risque d’avoir des cadavres de petits dans un plafond ou d’autres fouines qui remplacent celle détruite si les accès n’ont pas été obturés. Il est bien préférable d’appréhender le problème scientifiquement, de déterminer le nombre et le statut de ces fouines dans le site et d’empêcher les accès après la sortie de tous les animaux tout en leur offrant un gite à proximité. On pourra alors profiter de la prédation de ces fouines sur les rongeurs autour de la maison et observer en famille les jeux nocturnes des petits.

Ainsi nous avons démontré la partialité et l’incompétence de la CDCFS, des piégeurs, et de certains chasseurs, remis en question la réalité de certains dégâts opérés par la faune sauvage, nié toute utilité du piégeage actuellement réalisé et montré l’impossibilité de donner des bilans sérieux du piégeage. Il nous faut donc maintenant proposer des solutions : je suggère que la CDCFS se penche sérieusement sur les dégâts constatés et propose des moyens préventifs. Par exemple de couvrir les ensilages qui sont une source importante de nourriture en hiver pour les étourneaux. Ce serait certainement plus efficace que de tirer dans le tas, même en dehors de la période des dégâts.Nous devons donc démontrer aux préfets et au ministère qu’un réel changement d’attitude et de procédures est possible au lieu d’ouvrir un parapluie administratif donnant le message suivant : « Nous on vous autorise à tout tuer, alors débrouillez vous !»

Je conclurais avec une phrase de Robert Hainard : « Si le lapin s’ébat parmi le thym et la rosée et non dans un paysage râpé, plein de crottes, c’est au renard qu’il le doit… Le meilleur ami d’une espèce est son prédateur »Et j’ajoute :S’il y a des hérons et des cormorans c’est bon signe…il doit y avoir plein de poissons. Chouette, avec le lynx les chevreuils seront en bonne santé ! Heureusement que le loup arrive pour limiter les dégâts de sangliers !

Jean François NOBLET

Bibliographie :

-Birkan M., Pépin D. (1981) : Tableau de chasse et de piégeage d’un même territoire, de 1950 à 1971. Fluctuations numériques des espèces et facteurs de l’environnement. XV Cong.Faun. Cineg. Trujillo, p 845 à 856.

-Conseil général de l’Isère, Ligue de Protection des Oiseaux, section Isère (2007) : Protégeons la faune sauvage de L’Isère. Liste rouge des vertébrés de l’Isère. Grenoble. 43p.

-Delattre P. (1983) : Analyse d’une relation proie-prédateur sur le modèle « Micromammifères-petits mustélidés » en milieu de type agroécosystème. Méthode d’évaluation de la pression de prédation exercée. Acta Oecol. Oecol Gêner., 4 (2), P 171 à 191.

-DREAL Haute Normandie (2010) : Note sur l’intérêt économique de certaines espèces dites nuisibles en Haute Normandie. 10p.

-Godin J. et Vivier E. (  ) : Les mustélidés dans les forêts du Nord de la France. Leurs fluctuations d’effectifs de 1975 à 1987. Courrier de l’environnement N° 25. p 53 à  62.

-Jay M. (2000) : Oiseaux et mammifères auxiliaires des cultures. Centre interprofessionnel des fruits et légumes. Balandran.

-ONC (1998) : Bilan sur les prélèvements par piégeage des espèces classées nuisibles pour la saison 1996-1997.  39p.

-ONCFS (2001) : Impact de la prédation générée par la martre, la belette et le putois sur le gibier et les élevages en France

-Noblet JF (2005) : Comment réduire le nombre des espèces classées nuisibles dans son département ? Nature et Humanisme.21p.

-Noblet JF. (2007) : La nature sous son toit. Delachaux et Niestlé.

-Savoure Soubelet A. (2011) : Note de synthèse. Situation actuelle de la martre (Martes martes ), la belette (Mustela nivalis), et du putois (Mustela putorius) en France. Proposition d’une méthode de suivi. MNHN Rapport SPN 2011-1. 23p.

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